Introducion - Les conflits en Afrique : le cas de la Côte d’Ivoire

Dakar fue la sede del Comité Africa de la IS, 12-13 de julio de 2004

Traiter des conflits en Afrique en retenant comme axe principal les différentes formes de violences politiques, conduit immanquablement à se livrer à un exercice qui ne peut se traduire que par un pessimisme légitime.

Conflits internes et éruptions de violences ethniques et religieuses s'accumulent au Sud du Sahara et s'ajoutent à une longue litanie de maux ou de fléaux: forte poussée démographique face à un inquiétant immobilisme économique, l’effritement du crédit des structures étatiques, déficience des systèmes sanitaires et scolaires, fardeau de la dette, détérioration des termes de l'échange, calamités agricoles, famines, expansion de pandémies, essor de nouvelles maladies, sans compter la manipulation des ethnies par les élites.

A l'enlisement socio-économique des années 80 s'ajoute une marginalisation accélérée sur la scène internationale. L'Afrique est dans une perspective de devenir une des principales perdantes de la mondialisation, et au demeurant une vaste arène où prospèrent des conflits hautement meurtriers, mais sans grands enjeux stratégiques.

Au déferlement de violence brute, sous forme de massacres, de tueries, s'ajoute une série de phénomènes collatéraux tout aussi désastreux: flux de réfugiés (plus de 3.000.000 en 1997, majoritairement des femmes et des enfants), épidémies, famine, enrôlement des enfants pour servir de chair à canon.

L'un des phénomènes les plus déstabilisants pour le continent noir, généralement très mal perçu en occident, tient à l'irruption dévastatrice au sein des sociétés traditionnelles et rurales, de certaines formes nocives de modernité incarnées par le fusil d'assaut que l'on trouve partout et à vil prix. Leur possession assure un statut social, permet de remettre en cause les hiérarchies ancestrales et garantit la survie de la communauté dans un environnement hostile, l'enjeu crucial étant le contrôle du pouvoir étatique post-colonial et des prébendes qui en résultent. Le cadre étatique permet aussi à une partie de l'élite autochtone de gérer à leur guise et sans contrôle les ressources de l'Etat en privilégiant au mieux leurs intérêts, généralement sur des bases ethniques, religieuses et locales. Cette pratique de « personnalisation » de l'Etat ne peut susciter qu'un sentiment de frustration, de colère et de révolte chez les exclus ou les marginalisés; la lutte armée devient alors pour ces derniers le seul espoir de changement et l'un des seuls modes de contestations réellement efficaces. En effet, nonobstant les espérances nées au début des années 90, avec la fin de la guerre froide, l'instauration du multipartisme, la démocratisation et l'organisation d'élections transparentes ont rapidement montré leurs limites, et ont trop souvent abouti, à quelques rares exceptions près, à des impasses. Incapable de transcender les clivages traditionnels ethniques et géographiques, l'option démocratique s'est trop souvent contentée de reformuler les antagonismes anciens sous des formes plus propices et plus modernes. Cette nouvelle démarche n'aboutit à aucun résultat vraiment satisfaisant, et le recours à la lutte armée est apparue dans plusieurs Etats comme la solution la plus facile pour obtenir une véritable alternance au pouvoir; mais il est apparu très vite que la conquête du pouvoir par le fusil est loin d'être une panacée et n'implique nullement le retour à la normale.

La tendance actuelle pousse à la radicalisation où l'on est à la recherche d'une victoire totale, le but de la guerre n'étant pas seulement le contrôle de la manne étatique, mais aussi l'élimination totale de l'adversaire, et toute volonté de compromis est écartée. Cette nouveauté ouvre malheureusement la porte à de logiques génocidaires, au nettoyage et à la purification ethniques et à la xénophobie.

Dans le cas du conflit soudanais, commencé il y a vingt ans par une rébellion de tribus africaines du Darfour qui accusaient le gouvernement de privilégier les Arabes dans des disputes ancestrales sur les terres et les ressources, notamment l'eau, mais qui a pris, depuis février 2003 une nouvelle dimension, avec des affrontements entre le Gouvernement soudanais, soutenu, selon des observateurs internationaux, par les milices Janwalid, d'une part, et deux mouvements rebelles, le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE) et le Front de Libération du Darfour, d'autre part, les représentants de l'ONU sur place parlent d'une véritable purification ethnique. Ils accusent les milices Janwalid de pillages, d'incendies et de meurtres dans le Darfour sans que l'armée, ni la police n'interviennent. Depuis le début des conflits des milliers de personnes sont mortes et plus d'un million ont été déplacées dont 110.000 au Tchad qui sont actuellement prises en compte par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, qui estime par ailleurs qu'il y aurait encore le double qui rode dans la zone frontalière, où des incidents se sont déjà produits.

Aujourd'hui, l'Union africaine s'investit dans le conflit et le Président de la Commission de l'UA, Alpha Oumar Konaré, est actuellement un émissaire de la paix dans la région. Une mission de l'UA est en train de se mettre en place au Darfour. Outre contribuer à sa solution, le Président Konaré veut surtout éviter que la crise au Darfour n'amenuise les espoirs de paix dans le reste du sud du Soudan, où la rébellion a signé, en mai, un accord de paix avec Khartoum qui devrait mettre fin à un conflit qui dure depuis 1983 entre arabes et animistes ou chrétiens du Sud, soutenus par les Etats-Unis, et ne se propage dans la région. Lors du sommet des chefs d'Etat de l'UA, les 6, 7 et 8 juillet à Addis-Abeba, il présentera son rapport sur cette première mission.

La situation dans la région des Grands Lacs reste également préoccupante. Début juin, dans la province du Sud-Kivu, dans l'est de la RDC, à la frontière du Rwanda, des éléments rebelles de l'armée se sont opposés aux troupes régulières de l'armée congolaise. La mutinerie de Bukavu a relancé les tensions entre Kinshasa et Kigali, dont les forces ont pénétré à deux reprises en RDC pour traquer les anciens soldats Hutus rwandais accusés du génocide de 1994 dans leur pays, une première fois en 1996, une seconde fois pendant la guerre de 1998-2002, qui a fait 3,3 millions de morts, victimes la plupart de la faim et de la maladie et dans laquelle étaient impliqués six autres pays de la région.

Les tensions entre la RDC et le Rwanda sont réelles: Kigali accuse le gouvernement congolais de renforcer ses troupes dans l'est de la RDC (quelques 10.000 hommes), tandis que Kinshasa accuse le gouvernement rwandais d'appuyer, notamment avec des blindés, les dissidents de l'est qui s'opposent au processus de transition entamé dans le cadre de l'accord de paix inter-congolais, signé en avril 2003 à Pretoria, et qui doit conduire à des élections démocratiques en juin 2005.

Le sommet d'Abuja, qui a réuni le vendredi 25 juin 2004, autour du président nigérian Obasanjo, les présidents congolais et rwandais, Joseph Kabila et Paul Kagame, a été sanctionné par l'engagement ferme des deux parties de tout mettre en œuvre pour mettre une fin définitive à la guerre. Ainsi, ils se sont réengagés à l'application de l'accord de paix de Pretoria, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives au désarmement et au regroupement des combattants extrémistes Hutus rwandais Interahamwe et des ex-Far (l'ancienne armée rwandaise), puis leur rapatriement au Rwanda, en échange d'un retrait des troupes rwandaises de la RDC.

Le Président Kabila a demandé l'augmentation des effectifs des casques bleus de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), dont 11.000 sont déjà déployés sur le terrain. Le 22 juin le Conseil de sécurité de l'ONU a évoqué la possibilité de la mise en place d'une force de réaction rapide au sein de la Monuc.

 

LA SITUATION EN COTE D'IVOIRE

La crise déclenchée par la rébellion armée du 19 septembre 2002, ne se débloque pas, malgré les efforts internationaux pour pousser les protagonistes au dialogue et au compromis. Les accords de Linas-Marcoussis du 25 janvier 2003 peinent à être appliqués sur le terrain. Il est vrai qu'ils ont été contestés dès le départ par des partisans du Président Gbagbo. L'attribution du portefeuille de la Défense à un ministre issu des ex-rebelles était un des points des accords de Marcoussis qui ont été contestés en Cote d'Ivoire, non seulement par des amis politiques du Président Gbagbo, mais aussi par des éléments de l’armée loyaliste. Par ailleurs, à l'assemblée nationale, les députés du FPI ont eu des mots très durs sur la question de la nationalité et les modalités d'un projet de loi sur la naturalisation des étrangers en Côte d'Ivoire.

Or, on sait que la crise actuelle remonte à l'éviction d'Alassane Ouattara de la liste des candidats à la présidentielle, sous prétexte de sa « nationalité ivoirienne douteuse », conformément à des dispositions constitutionnelles connues sous le vocable « d'ivoirité ».

Aujourd'hui, 17 mois après la conclusion des accords de Linas-Marcoussis, la situation s'est dégradée au point que les Nations nies, qui ont envoyé une mission à Abidjan, menacent de prendre des sanctions individuelles (interdiction de déplacement, gel des avoirs financiers) contre les acteurs de la crise qui persisteraient dans les blocages. A l'issue des rencontres, Jean-Marc de la Sablière, ambassadeur de France auprès des Nations Unies, a indiqué «Le Conseil de sécurité attend de la part de toutes les parties ivoiriennes qu'elles respectent les engagements qu'elles ont pris. L'objectif partagé par tous et par le Président c'est que des élections libres, ouvertes et transparentes puissent avoir lieu en octobre 2005. Et Marcoussis est le moyen de parvenir à ces élections. »

Quelques 3.000 Casques bleus sont actuellement déployés dans le pays, sur plus de 6.000 annoncés à terme, avec pour mission de soutenir le processus de paix et d'encadrer le désarmement des fractions rebelles. Dans un discours radiotélévisé du lundi 21 juin, le Président Gbagbo a condamné fermement les manifestations « ayant visé les Français et l'ONU à la suite de l'attaque de Gohitafla. La France et les Français ne sont pas nos ennemis. L'ONU, le personnel civil et militaire de l'ONU ne sont pas nos ennemis. Nous ne devons pas nous tromper de combat. »

Le blocage du dossier est dû notamment au fait que là où les rebelles affirment qu'ils ne déposeront pas les armes tant que le président Gbagbo n'aura pas mis en œuvre les mesures préconisées par Marcoussis, le camp présidentiel exige que l'ONU désarme préalablement les rebelles qui contrôlent la moitié nord du pays. Cette préoccupation se justifie d'autant plus que ces derniers sont divisés et que des affrontements ont eu lieu entre groupes rivaux des FN (Forces nouvelles) à Bouaké et Korhogo, les 20 et 21 juin dernier, qui ont fait au moins 22 morts.

D'autre part, le gouvernement de réconciliation nationale, issu des accords de Marcoussis et dirigé par le Premier ministre Seydou Elimane Diarra, est dans l'impasse. Depuis les événements des 25, 26 et 27 mars où au moins 120 personnes, selon une commission d'enquête de l'ONU, ont trouvé la mort lors d'affrontements, dans les rues d'Abidjan, entre opposants et forces de l'ordre, les 27 ministres issus des rangs du G7 (groupe des opposants au chef de l'Etat ivoirien) boycottent les travaux du conseil des ministres et du conseil de gouvernement et tout contact entre le chef de l'Etat et l'opposition est interrompu. La situation s'est aggravée encore avec le limogeage, en mai dernier, de trois ministres de l'opposition, dont Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles. Aujourd'hui, le G7 plaide pour une délégation des pouvoirs au Premier ministre Seydou Diarra pour qu'il puisse appliquer les mesures prévues dans les accords de Marcoussis, signés par tous les membres du G7, le Front populaire ivoirien et deux petits partis alliés.

De son côté, le Président Gbagbo a renoué le dialogue avec l'opposition et une rencontre a eu lieu ce mardi à Abidjan, avec la participation du Premier ministre, mais en absence des représentants des Forces nouvelles, qui regroupent les trois mouvements de l'ex-rébellion et qui sont des acteurs clés du processus de paix. Ces derniers se sont toutefois dits prêts au dialogue, mais uniquement sous l'égide des Nations Unies.

Actuellement, la situation reste bloquée et aucun accord n'a été trouvé sur un retour de l'opposition au conseil des ministres. Alors que le G7 s'est dit disposé à reprendre sa place au conseil des ministres dans « sa configuration antérieure », le Président Gbagbo refuse de revenir sur sa décision de limoger les trois ministres. Pas d'accord non plus sur la demande du G7 de transfert de pouvoirs au Premier ministre, problème que le Président Gbagbo, selon le communiqué final publié à Abidjan à l'issue de deux jours de discussions, considère comme étant réglé depuis décembre 2003. Les participants se sont toutefois « félicités de la reprise du dialogue » et se sont entendus sur « la nécessité de poursuivre ce dialogue afin d'aplanir les point de divergence qui se sont dégagés au cours de leurs travaux. »

Nous ne pouvons que soutenir le Président Gbagbo dans sa volonté de relancer le dialogue, ainsi que les partis de l'opposition qui y sont partie prenante. Nous déplorons l'attitude des ex-rebelles des Forces nouvelles (FN) qui ont refusé de participer au dialogue, sous prétexte que le Président Gbagbo est « la source » des blocages du processus de paix. Cette attitude jusqu'au-boutiste ne peut en aucun cas contribuer au dénouement de la crise. La situation en Côte d'Ivoire est trop grave pour que l'un des protagonistes refuse la négociation.

Il est grand temps que les voix extrémistes se taisent en Côte d'Ivoire, que les incitations à la haine raciale et à la xénophobie soient bannies du langage politique, que le désarmement des ex-rebelles, sous l'égide des Nations Unies, soit effectif et que les accords de Marcoussis soient appliqués et respectés de part et d'autre. Toute initiative allant en ce sens doit être pleinement soutenue.

 

Jacques BAUDIN

Secrétaire national aux Relations extérieures